Recherche
Chroniques
récital The Flowers of War
Braunfels – Butterworth – Gurney – Hahn – Händel – etc.
Vingt ans avant de recevoir un prix Nobel de littérature (2007), la Britannique Doris Lessing (1919-2013) décrit la rencontre de ses parents durant la Grande Guerre, soit une infirmière et un homme blessé à la jambe par un éclat d’obus – d’aucuns chiffrent à plus d’un milliard le nombre de ces projectiles tirés en quatre ans. Le père endure l’amputation, mais échappe à la boue de Passendale (Belgique) dans laquelle disparurent des milliers d’autres, entre août et octobre 1917. Le voilà une nouvelle fois miraculé, après qu’une appendicite lui eût permis d’échapper à la bataille de la Somme, fatale à tant de jeunes volontaires inexpérimentés, un an plus tôt (du 1er juillet au 18 novembre 1916). Du profond dégoût de celui qui part s’installer en Perse, elle note :
« En revenant des tranchées, il avait éprouvé le même sentiment que tous les soldats de cette guerre : il se sentait trahi par les politiciens, qui lui avaient menti et n’avaient pas tenu leurs promesses, trahi par les civils, qui tenaient d’absurdes discours patriotiques sans avoir la moindre idée de ce qu’étaient les tranchées, trahi par les journaux chauvins et par l’armistice qui rendait inévitable une autre guerre » (Filles impertinentes, Flammarion, 2014).
Compatriote de Frederick Septimus Kelly (mort le 13 novembre 1916) et arrangeur d’un programme mélancolique et désolé, l’Australien Christopher Latham rappelle que « le bilan des pertes britanniques se monte à 420 000 hommes, dont près de 60 000 le premier jour de la bataille ». Portés disparus durant ces combats picards, George Butterworth, George Wilkinson (nés en 1885) et Francis Purcell Warren (né en 1895) inscrivent leur nom sur le mémorial de Thiepval. Ici, leurs pièces se mêlent à d’autres, traditionnelles, classiques et modernes, issues de l’âme néozélandaise (Willie Braithwaite Manson), allemande (Walter Braunfels, Botho Sigwart) et française (Reynaldo Hahn, Jacques Ibert).
Enregistré en différentes églises samariennes, lors des commémorations de juillet 2016, l’ensemble The Flowers of War leur rend un hommage poignant fondé sur le chatoiement des cordes plutôt que l’opulence – Zbigniew Kornowicz, Christopher Latham, Joanna Rezler (violon), Paul Mayes (alto), Catherine Delanoue (violoncelle). David Novak (accordéon) entretient la touche tragique, tandis que Jordan Aikin (cornemuse) ritualise le concert par ses interventions sporadiques. Enfin, ténor alla Charles Workman, Andrew Goodwin plaît par sa voix enveloppante aux notes tenues très stables. Que l’aigu soit parfois métallique importe peu dans ce florilège écorché qui brasse avec talent art et politique.
LB